L'homme qui murmurait à l'oreille de Bernard Arnault
Jean-Paul Claverie, conseiller du pdg de LVMH depuis 25 ans, raconte comment cette riche complicité s'est matérialisée dans la Fondation Louis Vuitton.


Sophie Colin
BIG BANG Les Grands Entretiens | 7 juin
« Je crois beaucoup aux rencontres, aux complicités humaines, aux échanges sensibles entre deux personnes. » Jean-Paul Claverie ne s’est pas trompé lorsqu’en 1991, sollicité par Bernard Arnault, tout juste nommé président de LVMH, il devient son conseiller. « Quand je l’ai rencontré, il m'est apparu comme un homme d’une très grande culture, d’une très grande sensibilité, et qui avait des intuitions. Une personnalité rare, comme on en rencontre peu. Il a eu l'intuition de me choisir, alors que j’étais conseiller de Jack Lang, juriste et j’avais fait des études de médecine. Un profil plutôt atypique dans le monde de l’entreprise ! » Leur collaboration s’est construite sur cette reconnaissance, faite d’estime et de confiance réciproques, et une compréhension subtile et intuitive, réservée à quelques proches.
Bernard Arnault et Jean-Paul Claverie ont posé les bases stratégiques qui ont permis à LVMH de devenir un groupe au prestige mondial. « L’entreprise est un acteur économique. Elle est aussi un fait culturel », en particulier au sein de LVMH où les métiers d’art, excellence du patrimoine français, sont mis à l’honneur. A partir de là, s’est imposée l’idée du mécénat, notamment artistique, véhicule des valeurs du groupe.
Aux propositions éclairées du conseiller répond l’enthousiasme inébranlable de l’homme d’action, de l’entrepreneur, de l’ingénieur toujours prêt à être surpris et à innover. Passionnés et ambitieux, les deux hommes partagent le goût de l’audace et des risques, cette capacité à se projeter et ce regard visionnaire sur le monde. C’est sur cette complicité que s’est bâtie la Fondation Louis Vuitton, un rêve formulé dès le début de leur rencontre et devenu réalité en 2014. Une aventure humaine dans laquelle Jean-Paul Claverie reconnaît avoir mis une grande part de lui-même, mêlant la passion de Bernard Arnault pour l’architecture et l’art contemporain, le talent de Frank Gehry et la capacité de chacun de s’émerveiller.
« Il ne faut jamais craindre de surprendre et de proposer des projets sur lesquels d’autres hésiteraient. »
Les deux hommes échangent autour des œuvres qui entrent dans la collection de la Fondation. Bernard Arnault les choisit à partir des propositions de Suzanne Pagé, la directrice artistique, qui les présente au préalable à Jean-Paul Claverie. Mais comment surprendre artistiquement Bernard Arnault ? Comment l’émouvoir ? « Pour lui, un artiste doit être différent, impertinent, visionnaire, libre, et prendre des risques », explique Jean-Paul Claverie. « Il vous mène à un endroit de vous-même dont vous n’aviez pas conscience. C’est tellement fort que ça devient un échange passionnel extraordinaire, comme une rencontre amoureuse. Et quand les grands collectionneurs et les mécènes partagent cette passion avec les artistes et le public, c’est un vrai moment de grâce. »
Le partage, un moteur pour Jean-Paul Claverie, au même titre que la liberté. « J’ai la prétention d’être très libre dans mes opinions et dans mes partis pris. C’est ce que Bernard Arnault apprécie chez ses proches collaborateurs : remettre en cause et ne jamais craindre de surprendre, ni de dire la vérité. Toujours exprimer une forme de sincérité. C’est le prix pour avoir un dialogue constructif et authentique. »





