« Nous sommes déjà de plus en plus bioniques »
Les robots auront-ils remplacé les médecins dans dix ans ? Presque, répond le chirurgien Guy Vallancien.

Résonance magnétique nucléaire, cœur artificiel, électrodes dans le cerveau, prothèses commandées par le cerveau : l'avenir de la médecine passe par les nouvelles technologies. À ce rythme, aura-t-on encore besoin des médecins dans dix ans ? Guy Vallancien, membre de l’Académie nationale de médecine et de chirurgie, est le fondateur de l’École européenne de chirurgie, une structure privée qui forme les chirurgiens à la robotique chirurgicale. Il est aussi l'auteur de La médecine sans médecin ? Le numérique au service du malade (Gallimard, 2015). Autant dire que la médecine de demain n'a pas de secret pour lui.
Pluris – La médecine sans médecin ?, c’est une provocation ?
Guy Vallancien – En quelque sorte, oui ! L’avenir de la médecine, c’est une médecine sans le médecin tel qu’on le connaît de nos jours. Aujourd’hui le rôle du médecin s’amoindrit, il fonctionne déjà par algorithme. Ses yeux, ses oreilles, ses mains sont des éléments subjectifs, non quantifiables, alors que les données de la biologie, de l’imagerie, de la résonance magnétique nucléaire, du scanner, de l’échographie, sont objectives et transmissibles en un clic à l’autre bout de la planète. Les instruments dépossèdent donc le médecin de son pouvoir d’examiner et de poser un diagnostic. Par ailleurs, les maladies sont détectées à un stade préclinique, c’est-à-dire avant l’apparition des signes et des symptômes : le cancer du sein par la mammographie, le cancer de la prostate par le dosage du PSA, l’antigène de la prostate, le diabète par le taux de sucre dans le sang, le cancer du poumon par la radio, etc.
Comment peut-on être sûr que les ordinateurs et les robots sont aussi fiables qu’un médecin ?
Parce que pour affiner son diagnostic, l’ordinateur peut traiter des quantités de données à une vitesse inaccessible à un médecin. Il sait analyser en quelques minutes les milliards de base du génotype d’une tumeur, par exemple. Aujourd’hui je télémanipule déjà les instruments sur une table d’opération à 3 mètres de distance avec des joysticks. Demain, ces techniques seront totalement robotisées, car la machine ne tremble pas, elle n’est jamais fatiguée, elle travaille sans pause, et quand elle ne comprend pas, elle s’arrête. Elle a aussi une laxité incroyable, le bras du robot peut tourner à 360° quand la main de l’homme ne dépasse pas 240°. L’outil est donc en train de primer sur les capacités intellectuelles et manuelles de l’homme.À quoi servira le médecin ?
Le savoir est partagé aujourd’hui, tout le monde peut avoir accès à toutes les revues scientifiques, et le patient a souvent tout lu sur Internet. Mais ce qui continue de distinguer le médecin du malade, c’est son expérience professionnelle, qui fera que le patient ne croira jamais complètement un robot. Le médecin généraliste, le premier de la chaîne, deviendra donc le pivot du système de santé. Il sera assisté par des ingénieurs opérateurs, des robots anesthésistes, des infirmiers, des chirurgiens, des brancardiers, des pharmaciens, etc. Son rôle sera celui d’un intégrateur de données, ce qui exige des consultations lentes, beaucoup d’écoute et une prise en charge globale du malade dans tout son environnement personnel, familial, socioprofessionnel. C’est un vrai métier, avec une forte dimension psychologique pour accompagner le patient, et le convaincre d’adhérer à un projet thérapeutique. Et pour les maladies plus sérieuses, les traumatismes et les situations d’urgence, il y aura toujours besoin d’un humain. Le médecin tâcheron se transforme en médecin éclaireur, à l’écoute de ses patients : c’est le plus beau des rôles !Qu’est-ce que ça va impliquer pour les formations en médecine ?
À part au plan scientifique, le contenu des études de médecine n’a pas évolué, en particulier en ce qui concerne l’intégration du médecin dans la société. Ceci doit donc changer, et dans plusieurs dimensions. Premièrement, un raccourcissement des études de deux ou trois ans, car les outils de simulation vont accélérer la formation, et les étudiants pourront être confrontés à des situations extrêmement complexes. Deuxièmement, il va falloir les intéresser à la communication, aux relations humaines, à l’économie de santé, à l’informatique, et à l’histoire des sciences aussi. Les jeunes médecins apprennent la biologie, mais ne connaissent rien de l’administration du système de santé : agences régionales, ministère des affaires sociales et de la santé, agence de sécurité du médicament, etc.